Jouer au football pour l’unité pendant l’UEFA EURO 2020
Khalida Popal, qui a été membre de l'équipe nationale féminine en Afghanistan, partage son histoire en racontant comment elle a fui son pays natal et comment elle a puisé sa force dans le football pour s’en servir aujourd’hui au sein du FC Nordsjælland, au Danemark, afin d’autonomiser des jeunes issus de différents milieux dans le cadre du projet « Football for Unity » (Le Football pour l’unité)
J'ai grandi avec la passion du football
J’ai commencé à jouer au football dans la rue, avec mes frères, lorsque j’étais enfant. J’ai grandi dans une zone de guerre en Afghanistan, puis je suis devenue réfugiée à l’âge de neuf ans. Jusqu’à l’adolescence, j’ai vécu dans un centre de réfugiés au Pakistan à cause de la guerre, et la seule chose qui pouvait me motiver et m’aider à survivre, c'était le sport, en particulier le football.
Lorsque je suis retournée en Afghanistan, alors que j'étais déjà une adulte, je me comportais toujours comme une adolescente en jouant encore au football avec mes frères dans la rue, car le football est le sport le plus populaire dans mon pays.
À cette époque, les gens voulaient m’empêcher de jouer au football. Comme j'étais une femme majeure, ils essayaient de me séparer de mon équipe, parce qu’il s’agissait d’une équipe masculine et qu’il n’y avait pas d’équipe féminine à ce moment-là. Les gens me disaient que ma place était à la cuisine, à la maison, et que j’étais là pour être au service d’un homme et pour le rendre heureux. Chaque fois qu’ils refusaient que je joue au football, je me disais que je leur prouverais que j’en étais capable. Chaque fois que je jouais au football, dès que le ballon commençait à rouler, je me sentais heureuse et loin de tous les défis que j’avais rencontrés, enfant, en tant que réfugiée, et loin des problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans la société.
Lorsque je n’avais plus le droit de jouer au football dans la rue avec mes frères, j’étais déterminée à ne pas abandonner, mais au contraire à apporter ma passion et mon amour du football à toutes les filles et les femmes de mon âge afin qu’elles puissent ressentir la même chose à leur tour.
A l'origine de la première équipe nationale féminine de football en Afghanistan
J’ai ensuite lancé une campagne qui a été diffusée dans différentes écoles, avant d’aller au bout de ma démarche pour créer une sorte de championnat scolaire. C’est ainsi que la fédération a commencé à s’impliquer davantage et que je l’ai incitée à reconnaître notre championnat pour créer la première équipe nationale féminine de football en Afghanistan.
Chaque fois qu’on me faisait tomber, je me relevais en me disant : « Je n’abandonne pas », et j’étais sûre de pouvoir y arriver et de mieux faire. C’est ce qui m’a amenée à constituer la première équipe nationale féminine d’Afghanistan, à développer le football de base féminin dans le pays, à devenir la première femme à travailler pour la Fédération afghane de football, puis la première directrice et la plus jeune des membres de son comité directeur.
En fait, le football m’a appris une certaine forme d’activisme : je me suis servie de ce sport pour m’approprier mon discours, mais également pour aider d’autres femmes de mon pays à faire de même. Voilà comment j’ai fait mes débuts en tant qu’activiste, grâce au football, et je suis reconnaissante envers ce sport, qui m’a aidée à le faire naturellement. Mon activité de militante m’a mise sérieusement en danger dans mon pays, c'est pourquoi j’ai dû partir. Ce n’était pas seulement à cause des personnes les plus religieuses ou extrémistes, mais également à cause de ceux qui avaient simplement peur de perdre leur pouvoir au profit des femmes. J'étais soumise à une pression énorme. Et comme je voulais avoir plus d’impact pour faire changer davantage les choses, j’ai décidé de partir.
Mes défits en tant que réfugié en Europe
Lorsque je suis arrivée en Norvège, mon expérience de vie en tant que réfugiée était différente, car j'étais désormais une adulte. La première fois, j'étais une enfant et je ne ressentais pas les choses aussi profondément. En vivant dans un centre de réfugiés en Norvège, je percevais une pression excessivement forte sur les femmes et ressentais le manque d’activités sociales et le faible intérêt porté aux filles et aux femmes. Je suis ensuite partie au Danemark et, là encore, je vivais dans un centre. À cette époque, je souffrais de dépression et de traumatismes. C'est difficile de vivre dans un centre de réfugiés, de quitter sa famille et de tout laisser derrière soi. Ce fut une décision difficile à prendre. J’avais beau être forte à ce moment-là, je me sentais détruite et pleurais jour et nuit. J'ai aussi vu de nombreuses femmes réfugiées traverser des périodes de dépression et de stress, et certaines d’entre elles ont même essayé de mettre fin à leurs jours. C’était tellement triste. Alors je me suis dit : « Je ne veux pas rester assise ici et pleurer. » Quoi qu’il m’arrive, je ne veux pas abandonner ma mission d’autonomisation auprès des filles et des femmes. Je veux utiliser le sport pour rassembler les gens, en particulier les femmes, et aider ces dernières à être fortes et puissantes pour qu’elles puissent se sortir de leur situation difficile.
Je me souviens avoir ressenti que la vie dans un centre de réfugiés, c’était comme ne pas avoir d’identité : on n’est personne. On ne fait pas partie de la société, même si on est dans un pays très développé. On n’est personne, un point c’est tout. On n’a rien et il n’y a pas beaucoup d’activités pour s’occuper. Il y a beaucoup de restrictions, et l’avenir est incertain : on ne sait pas ce qui nous attend. En vivant dans un centre de réfugiés, je me sentais comme une poupée suspendue en l’air : je ne pouvais pas atterrir sur mes pieds, je ne pouvais pas voler dans le ciel ; on me laissait juste flotter dans l’air, et je ne savais pas quoi faire.
Puis je me suis dit : « Je dois me ressaisir et aider les autres. » J’ai donc encore une fois utilisé le pouvoir du sport, qui m’avait permis de surmonter des situations difficiles dans mon pays, pour commencer à impliquer des filles et des femmes vivant dans le même centre. Je frappais à leur porte en disant : « Venez dehors, on va courir, puis jouer un peu au football et faire quelques pas de danse ! »
J'ai fondé ma propre organisation "Girl Power" (Le pouvoir des filles)
Dès que j’ai eu la permission de rester au Danemark – j'étais alors toujours dans le centre de réfugiés, mais je jouais dans un club de football –, j’ai décidé de fonder ma propre organisation, Girl Power (Le pouvoir des filles), dont l’objectif principal est d’autonomiser les femmes, qu’elles soient réfugiées, migrantes ou issues de minorités ethniques, pour qu’elles reçoivent une éducation informelle. Girl Power consiste surtout à autonomiser et à encourager les filles et les femmes, et à bâtir des ponts entre la population locale et la communauté des réfugiés et ce, au sein d’une organisation dans laquelle des personnes ayant les mêmes idées se retrouvent, partagent leurs histoires et leurs expériences, et établissent des réseaux. Girl Power organise des activités sportives dans les centres de réfugiés, où les jeunes leaders, qui sont toutes des femmes issues de milieux culturels divers, animent des entraînements auprès des réfugiées. Nous leur proposons également des formations ou des cursus consacrés au leadership.
Football for Unity
Par la suite, j’ai commencé à travailler avec le FC Nordsjælland. Dans ce club de football masculin et féminin, je suis principalement chargée des projets communautaires et du football féminin. Je suis très fière et heureuse cette année de collaborer avec streetfootballworld et avec la Fondation UEFA pour l'enfance dans le cadre du projet « Football for Unity », qui soutient cette vision et cette mission en mettant en relation les multiples parties prenantes et différentes organisations à travers un projet commun. C’est ça le pouvoir du football : unifier les gens.
Je suis ravie de mener un projet axé sur l’autonomisation des jeunes. Il implique des jeunes que nous appelons les « défenseurs de la communauté », issus de toutes sortes de milieux culturels. Il y a des Danois et des personnes provenant de différentes minorités ethniques, garçons et filles confondus. Et ce projet s’inscrit dans le cadre d’un programme de leadership composé de plusieurs ateliers éducatifs similaires à des forums de discussion entre jeunes. Nous parlons d’inclusion, d’intégration, des effets du sport sur la vie des jeunes et aussi des répercussions du sport et de l’unité sur la société. C’est un projet formidable, et le football fait partie intégrante de ces activités.
Nous devons rassembler les gens pour qu’ils se soutiennent mutuellement, car ce ne sont pas les réfugiés qui constituent le problème. Si je vis au Danemark à présent en ayant le statut de réfugiée, ce n'est pas par choix. Je ne me suis pas simplement dit : « Allez, ça va être amusant d’être une réfugiée ! » Personne ne veut quitter son pays, ses rêves, sa famille, son patrimoine et tout ce qui nous tient à cœur. Mais certaines situations contraignent les gens à devenir réfugiés. Ce n’est pas le problème des réfugiés, mais le problème du monde entier. Et il relève de notre responsabilité collective de prendre soin les uns des autres, car il y a des réfugiés de guerre, mais aussi des réfugiés environnementaux. Et il y en aura bien d’autres encore.
Dans ce contexte, comment pouvons-nous vivre dans un monde socialement responsable où chacun ferait preuve de bienveillance, d’attention et de soutien envers les autres ?
Comme dans le football. Lorsque l’on marche sur le terrain, peu importe que l’on soit riche ou pauvre, blanc, noir ou basané : on joue au même jeu. Tout ce qui compte, c'est l’équipe et les buts. Voilà pourquoi le football est une excellente leçon de vie pour tous, dans le monde entier. Il suffit de penser au terrain, à l’équipe et à l’objectif fixé pour avoir un monde merveilleux ensemble, dans lequel les gens s’acceptent, se respectent et servent d’exemple les uns aux autres.
C'est l’approche que nous adoptons dans le cadre du projet « Football for Unity ». Et le mieux, c’est qu’il ne s’agit pas d’un projet pour les réfugiés ; c’est un projet d’unité qui implique non seulement des personnes vivant dans des centres de réfugiés, mais également des migrants de deuxième génération qui sont nés et qui ont grandi au Danemark, ainsi que des jeunes dont les parents sont Danois. Ce projet leur offre un terrain d’entente où ils jouent tous d’égal à égal. J’aime vraiment l’idée de ne pas se focaliser sur un groupe, mais d’adopter plutôt une approche collective invitant à rassembler des personnes issues de milieux différents. Le principal objectif consiste naturellement à encourager et autonomiser les jeunes. L’un des défis que la société danoise doit relever est que les réfugiés ont mauvaise presse : « Les réfugiés viennent pour profiter de nos avantages sociaux. Ils prennent notre argent. Ils prennent nos emplois. » Ce type de projet permet justement de mettre les gens en relation en faisant connaître leur histoire : « Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je au Danemark ? Je suis une réfugiée et à quoi ressemble ma vie en tant que telle ? »
Les réfugiés ont besoin de modèles
C’est l’une des raisons pour lesquelles je donne en retour. Lorsque je mène ce projet et, par exemple, lorsque j’anime quelques ateliers, les réfugiés et les non-réfugiés me considèrent comme un exemple. En me voyant, les réfugiés se disent : « Oh, si elle peut le faire, alors je pourrais y arriver aussi. » Quant aux non-réfugiés, voici ce qu’ils pensent en me voyant : « Elle ne vit pas ici pour le plaisir ; elle ne vient pas ici pour prendre notre argent ; elle donne réellement quelque chose en retour à la société. Elle avait besoin d’une protection, mais elle travaille aussi pour gagner sa vie et paie des impôts. Donc elle contribue à la société. »
Je pense qu’il est très important que la prochaine génération ait des modèles à suivre pour autonomiser les jeunes issus de toutes sortes de milieux culturels. Comme ça, ils pourront se dire : « Ok, je peux faire ça. Je peux faire partie du mouvement. » Et ça permettra également de changer les mentalités au sein de la société : « Oui, les réfugiés viennent dans notre pays, mais ils ne sont pas là pour l’argent ; ils contribuent également à la société. Leur vie était en danger, ou bien ils étaient confrontés à certains problèmes sociaux ou politiques. » C'est la raison pour laquelle nous avons besoin d’un grand nombre de modèles à suivre, notamment en Europe.
Mon souhait pour cet EURO
S'il y a une leçon que nous avons tirée de la pandémie, c’est à quel point il est difficile d’être isolé, d’être séparé de ses proches, de ne pas avoir accès à ce que l’on veut, d’être privé de notre liberté. J’espère donc sincèrement que, pendant cet UEFA EURO 2020, les gens feront davantage preuve de respect et de tolérance, et qu’ils apprécieront simplement le caractère fédérateur, inclusif et ludique du football.
Le projet « Football for Unity » est cofinancé par le Fonds Asile, migration et intégration de l’Union européenne. Pour de plus amples informations, rendez-vous ici.